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La Baïonnette haitienne
1 mars 2019

Pute du micro, un nouveau métier de journaliste.

 

studio radio

Aujourd’hui, pour être un bon ou un grand journaliste haïtien, il n’y a plus lieu d’avoir une bonne culture générale, des qualités d'expression écrite et orale, un esprit créatif, une curiosité toujours en éveil, un esprit d'analyse et de synthèse, et une certaine originalité. Il n’y a plus lieu d’être très dynamique, de savoir s'adapter aux techniques de conception et de diffusion liées au multimédia. Il suffit juste d’être un « journalope » ou une « pute du micro », un « mercenaire de la plume ou du clavier », un propagandiste ou un lobbyiste. Bref, un vrai chasseur de primes.

 

Par Miché de Payen

 

La libéralisation de l'espace médiatique haïtien a permis l'éclosion d'une multitude d'organes de presse. De 14 radios et 2 chaînes de télévision à Port-au-Prince, à la fin des années 80, on en compte aujourd'hui plus de 40, une vingtaine de chaînes de télévision dans la capitale. Mais selon le Conseil National des Télécommunications (CONATEL) c’est plus que 350 stations de radio ayant une base légale à côté de 347 autres naviguant dans l'illégalité qui opèrent sur le territoire national.

Malgré cette prolifération de stations de radio et de chaines de télévision et du contenu sur Internet dans la capitale haïtienne, les journalistes haïtiens font surtout face aux problèmes d’infrastructures qui affectent leur productivité. Ils travaillent avec des moyens dérisoires. Dans l’ensemble du pays, les médias à la pointe des technologies sont rares. Les décors sont peu créatifs. La mesure d’audience est inexistante et la concurrence se fait par mimétisme. Les chaînes locales copient des programmes français (séries TV, animation, documentaire, sport, information, etc.) sans tenir compte des différences socioculturelles. Il s’agit donc aussi d’une crise culturelle qui milite en défaveur de la culture haïtienne.

À Haïti, Il n’est pas facile d’être journaliste: mal payé, mal équipé, mal considéré, mal protégé, mal formé, etc. des hommes et femmes comptabilisent plus de la moitié d'une carrière professionnelle dans l'extrême précarité.

Dans le privé, le statut des journalistes est plus dégradant. Ils travaillent et vivent pour l’essentiel dans la précarité sans contrats de travail ni sécurité sociale. Sans l’existence de « conventions collectives » dans le secteur, ils gagnent pour l’essentiel entre 5.000, 10.000 et 15.000 gourdes. En vue d’équilibrer leurs comptes, certains contournent la déontologie professionnelle sur au moins trois tableaux : soit ils se mettent à la quête du sensationnel qui fait vendre, soit ils pratiquent, comme en RDC, « le coupage » qui consiste à se laisser corrompre pour écrire un article ou réaliser un reportage complaisant, soit ils utilisent des méthodes de collecte d’information illégales et diffusent certaines informations sensibles comme la violation du secret d’instruction.

Avec la précarité qui n’en finit pas de gangrener la presse haïtienne notamment les journalistes, avec l’absence de business plan viable et le manque de formation omniprésent, les hommes de médias sont facilement manipulables, soit par méconnaissance des règles du métier, soit par la boulimie des billets de banque.

La politique fait émerger un groupe d’hommes opulents sur lesquels s’appuient certains journalistes animateurs d’émissions politiques. Beaucoup de journalistes sont politisés, instrumentalisés et soudoyés par les dirigeants politiques dans le but de soigner leur image. Ils sont plus lobbyistes et attachés de presse que professionnels de l’information. Forts avec les faibles et faibles avec les forts, ces pleutres s’attirent  les bonnes grâces des ministres, parlementaires ou dirigeants de partis et souillent la vérité. Ces journalopes jettent aux orties l'éthique professionnelle la plus élémentaire et perdent tout sens moral. Ces laquais de la presse peuvent en toute impunité vomir des contre-vérités sans être inquiétés. Ils sont aussi les principaux coupables de la désastreuse disparition de l’honnêteté et de la confiance dans la société haïtienne.

Aujourd’hui, les relations entre médias,  journalistes et les politiques, sont exactement à l'opposé de ce qu’elles devraient être. Elles sortent du domaine journalistique pour se transformer en relations vénales. L’objectivité, l'exactitude et l'impartialité de l'information ne sont plus la spécificité des journalistes.

L’éthique professionnelle est foulée aux pieds, la morale de la société toute entière également. En corrompant discrètement les journalistes, les politiques sont assurés d’orienter  leurs opinions. Aux yeux des journalistes haïtiens souvent mal payés, le « coupage » compense leurs bas salaires et contribue au partage des faveurs dans un pays où la corruption s’est institutionnalisée. Le « coupage » est un jargon de la presse congolaise. C’est une forme de corruption qui consiste à orienter les opinions des journalistes. 

Internationalement, ce phénomène est appelé « journalisme aux enveloppes kraft ». Les pays anglophones africains l’appellent par euphémisme bonus journalism (journalisme d’extra), oiling hands (graisser la patte) et cocktail journalism (journalisme de cocktail). En Tanzanie, le terme consacré de sitting fee désigne la prime versée par les organisateurs aux journalistes pour les inciter à venir et à rester jusqu’à la fin de la manifestation. Blessing fee (taxe sainte) est le terme équivalent utilisé en Éthiopie lorsque l’Église orthodoxe est impliquée. Dans le pays, cette pratique est appelée buche, terme qui vient de l’amharique bucheka et signifie littéralement « saisir quelque chose ».

Le travail des journalistes, est motivé par des incitations financières. Des sujets importants peuvent ne pas être couverts car ils ne procurent pas de bonus financier. Certains professionnels des médias travaillent comme « les entraîneuses dans les boîtes de nuit ». Si l'on veut la compagnie d'une demoiselle, il faut la payer ; de la même manière, si l'on veut qu’un journaliste couvre une conférence de presse, il faut le payer. Si un politicien veut soigner son image, cacher ses magouilles politiques, détourner le regard du peuple vers l’inessentiel pour préserver les apparences, il se paie un journaliste. Si un président veut se maintenir au pouvoir, il contrôle la parole médiatique.

Entendre parler, dans le contexte médiatique haïtien, de journalistes qui reçoivent une « gratification » de la part de leurs sources ne suscite pas un grand étonnement. Le tarif d'un journaliste est en fonction de sa renommée. Les journalistes célèbres, comme les stars du spectacle, sont naturellement plus chers que les journalistes ordinaires. Le tarif dépend aussi du rang hiérarchique : le « défraiement » d’un journaliste est directement proportionnel à son rang dans le média qui l’emploie. Toutes les administrations ont des règles pour traiter de manière appropriée, en fonction de leur importance, les différents médias. Un journaliste d'un média d’envergure nationale est évidemment mieux traité que celui d’un média provincial.

Grace au « coupage » ou aux enveloppes brunes, beaucoup de journalistes ont fait construire des hôtels à l'extérieur de la ville, ou acquis des terres agricoles pour se faire construire des maisons de campagne. Un tel niveau de vie ne s'explique pas par leurs salaires, mais par leurs activités de courtisans auprès des parlementaires, ministres ou des gens de la haute bourgeoisie.

En réalité, la véritable racine du mal du pays réside dans le système médiatique. De toutes les formes de corruption, la plus importante est la corruption politique ; parmi toutes les personnes sans vergogne, les plus éhontées sont premièrement les hommes politiques et deuxièmement les journalistes. Dans le langage populaire, on entend souvent parler de la prostitution comme le plus vieux métier du monde. Cela signifierait-il qu’il ne sert à rien de lutter contre la prostitution puisqu’elle est perçue comme un métier au même titre que la "pute du micro" qui s'exerce au sein des médias. 

 

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